D’après une publication de l’Inrae parue mi-août 2020, « une méta-analyse des génomes de 775 variétés de tomates a permis d’identifier des pistes de sélection pour améliorer leur qualité organoleptique ». « D’un point de vue métabolique, la saveur est principalement due aux teneurs en sucres, en acides organiques et à la composition en arômes volatils. Les gènes qui codent pour ces métabolites ont été jusqu’à présent peu étudiés », précise Mathilde Causse*, directrice de recherche à l'Inrae et co-animatrice de l’équipe Dadi (Diversité adaptation déterminant intégration) pour la tomate. Ainsi, pour mieux comprendre la génétique des composants du goût, des chercheurs de l'Inrae ont réalisé une méta-analyse d’études existantes qui auscultent le lien entre différents traits (ou caractères) phénotypiques, c’est-à-dire observables tels que la couleur ou la texture par exemple, et les variations génétiques.
Au final, ce sont les informations issues de 775 variétés de tomates et plus de deux millions de variations mineures du génome qui ont été analysées. « Cette méta-analyse a permis d’identifier des gènes qui pourraient être impliqués dans la saveur des tomates et qui mériteraient d’être caractérisés au niveau fonctionnel », commente la chercheuse. L’étude met en évidence 305 associations phénotype-génotype pour le contenu des fruits, en sucres, acides, acides aminés et composés volatils liés aux arômes. « En sélectionnant les combinaisons pertinentes d’allèles, il serait donc possible de répondre positivement aux préférences de saveurs des consommateurs tout en réduisant la présence de certains composés défavorables », envisage-t-elle.
Plus de deux millions de variations mineures du génome de la tomate ont été analysées pour identifier les gènes de sa saveur.
Ces résultats vont servir aux futures sélections variétales en identifiant les séquences d’ADN les plus intéressantes pour la qualité organoleptique de la tomate. « Cette méta-analyse a été possible car les données utilisées, produites par d’autres scientifiques, sont en “libre accès” et de fait réutilisables par d’autres chercheurs », précise Mathilde Causse. Ce mouvement d’ouverture des données s’insère dans l’initiative Fair (Findable, accessible, interoperable, reusable = découvrable, accessible, interopérable et réutilisable) qui consiste à favoriser la découverte, l’accès, l’interopérabilité et la réutilisation des données produites par la recherche. Cette initiative, soutenue par l'Inrae, permet de mettre en œuvre des méta-analyses puissantes telles que celle-ci et participe à la transparence de la science.
Qu’il s’agisse de tomate « de bouche » ou de matière première destinée à la transformation industrielle, la nécessaire réhabilitation de la saveur qui sous-tend le travail de l’équipe du Dr Causse n’est pas une cause nouvelle. Des travaux de plus en plus nombreux sont consacrés depuis quelques années à cette demande, exprimée tant par les professionnels que par les consommateurs, de renouer avec les saveurs perdues au fil de plusieurs décennies d’amélioration variétale (orientée vers des critères plus aisément quantifiables) ; et la question était déjà d’actualité il y a une dizaine d’années. Ainsi, les commentaires du Pr John (Jay) Scott* (professeur d’horticulture à l’Université de Floride), dans une présentation faite en 2012, résument les aspects fondamentaux et les problématiques auxquelles sont toujours confrontés les experts, les producteurs et tous les acteurs qui œuvrent au développement de variétés de tomate dotées d’une saveur améliorée.
« De nombreux consommateurs sont insatisfaits des tomates de culture commerciale et pensent que les obtenteurs de semences se focalisent seulement sur les qualités autres que la saveur, comme le rendement, la facilité de transport et les résistances phytosanitaires. Cette présentation donne un aperçu des complexités et des réalités inhérentes au développement et à la commercialisation de variétés de tomates avec une saveur améliorée. Les composantes de la saveur des tomates seront décrites, ainsi que plusieurs des contraintes majeures qui en influencent l’amélioration dans les différents types de tomate. »
Le Pr Scott s’intéressait à l’importance relative accordée par les différents acteurs de la filière aux critères qui définissent selon chacun d’eux la qualité de la tomate. La douzaine de caractéristiques retenues faisait apparaître quelques points communs et surtout un clivage net entre les besoins de l’amont et les attentes de l’aval. Ainsi, l’apparence, la fermeté et la tenue du fruit dans le temps, qui intéressent aussi bien le producteur que le consommateur, s’opposent clairement à la taille des fruits, au rendement et à la résistance aux maladies qui restent les préoccupations du producteur seul.
L’« insatisfaction » concernant les tomates achetées dans le commerce peut résulter de la comparaison avec celles cultivées à petite échelle dans le jardin familial, qui ne font en outre pas l’objet d’un transport. Le souvenir de la qualité et de la saveur peut aussi ne pas être toujours fiable et, outre les conditions de transport, la conservation au réfrigérateur ou la consommation de tomates avant leur optimum de maturité peuvent altérer le goût. En définitive, l’appréciation est clairement subjective, chaque consommateur pouvant avoir une perception différente de ce que doit être la saveur d’une « bonne tomate ».
Au-delà de ces questions et avant de concevoir un plan de production et de commercialisation, les sélectionneurs doivent s’interroger sur l’acceptabilité par les différents intermédiaires et par le consommateur final d’un prix plus élevé pour une meilleure saveur.
Si l’amélioration de la saveur est unanimement reconnue comme justifiant une hausse du prix, le travail des sélectionneurs peut alors commencer. Mais comme le souligne le Pr Scott, « les défis à relever sont nombreux », parmi lesquels il faut souligner la complexité du contrôle génétique des caractéristiques organoleptiques, l’antinomie entre la teneur en sucres et le rendement agricole, la teneur en sucres plus élevée pour les variétés isogéniques à croissance indéterminée que pour les variétés déterminées, la corrélation entre une teneur élevée en sucres et la taille réduite des fruits, l’absence (en 2012) de méthode pratique de sélection pour une saveur satisfaisante, l’incidence considérable des conditions environnementales sur la saveur, etc.
Il y a dix ans, les scientifiques de l’Université de Floride mettaient en avant plusieurs approches possibles de sélection pour améliorer la saveur des tomates dont la plupart consistaient en l’incorporation de matériel génétique visant à influer sur la teneur en sucres, tirer parti de la saveur de variétés anciennes, utiliser des gènes modérateurs de maturation (gènes rin, nor, alc), promouvoir la fragrance (gènes frg), et enfin rechercher de meilleurs résultats en recombinant les matériels génétiques existants des variétés modernes, etc.
En conclusion, le Pr Scott expliquait les difficultés qu’imposaient alors à l’amélioration de la saveur les limites de la génétique, celles liées à l’influence du milieu sur la saveur, celles inhérentes aux méthodes de sélection, et celles liées à la physiologie même du fruit etc. Tout en se montrant confiant dans les facilités qu’apporteraient les nouvelles technologies en matière de sélection, il estimait que la découverte d’une « recette miracle » est peu probable en l’état actuel des connaissances.
Les gènes de la saveur redécouverts
Si aucune solution miracle n’est intervenue, des étapes décisives ont cependant été franchies depuis dix ans, notamment avec les recherches menées au Boyce Thompson Institute (BTI, Cornell University, New York) qui ont permis d'obtenir la carte la plus complète de l'ADN des tomates jamais réalisée, avec des données relatives à 725 variétés, cultivées et sauvages : un véritable « pangénome », puisque c’est ainsi que les chercheurs l'ont nommé.
Dans une étude publiée en 2019, environ 5 000 gènes de tomate ont ainsi été « trouvés », qui avaient été « perdus » dans les variétés modernes et qui aideront à restaurer la saveur des variétés cultivées aujourd’hui. Outre les améliorations en termes de saveur, ces gènes pourraient contribuer à renforcer la résistance des plantes aux maladies et seraient plus « durables » en termes d'environnement.
Le groupe, dirigé par Zhagjun Fei, a découvert 4 873 nouveaux gènes et identifié une version rare d'un gène qui donne plus de saveur aux tomates et qui aidera « les sélectionneurs dans leurs efforts pour rendre les tomates plus savoureuses », dit Fei.
La première carte génétique des tomates remonte à 2012 et de nombreuses autres ont été ajoutées depuis. L'étude du BTI est cependant la première à extraire toutes ces séquences génétiques, ainsi que 166 nouvelles, et à « identifier » les gènes absents du génome de référence. « Dans la culture de la tomate, poursuit Zhagjun Fei, les [acteurs des différentes filières] se sont concentrés sur les caractéristiques nécessaires pour augmenter la production, telles que la forme et la taille. De fait, d'autres gènes importants, liés à la qualité et à la tolérance au stress, ont été perdus. »
Les chercheurs ont finalement identifié une mutation rare, appelée TomLoxC, qui contribue à donner une saveur « appétissante » à la tomate, ainsi que sa couleur rouge : elle est présente dans 91,2% des tomates sauvages, mais seulement dans 2,2% des variétés cultivées les plus anciennes et dans 7% des modernes.
La même année, des chercheurs argentins se sont intéressés à cette même question afin de comprendre pourquoi les variétés disponibles sur les marchés du pays étaient « rondes, larges et généralement fades, ou avec un goût sans intérêt ». Par conséquent, les scientifiques de la Faculté d’agronomie de l’université de Buenos Aires (Fauba) et Conicet (Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas) conduisent un projet de recherche afin de résoudre ce désavantage et accroître le réservoir de semences disponibles pour cette variété.
Ils cherchent à récupérer le germoplasme des anciennes variétés de ce légume qui était déjà consommé de manière habituelle en Argentine pendant les premières décennies du XXe siècle. Selon le Dr Fernando Carrari, chercheur Conicet et professeur de génétique à l’institut Fauba, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, lorsque l'horticulture « moderne » a été établie en Argentine, avec l'arrivée de vagues successives d’immigrants espagnols et italiens, le matériel génétique qui répondait alors à la demande (marchés proches, saisonnalité, commercialisation rapide et rendements faibles) s’est trouvé dépassé par l’accroissement brutal de la demande liée à la multiplication par 10 de la population du pays.
La performance priorisée
Pour faire face à l’explosion démographique, du matériel génétique a été incorporé pour obtenir des rendements plus élevés dans des conditions de culture plus contrôlées, au détriment de la qualité organoleptique perçue par le consommateur : goût, arôme, texture, aspect.
De l'avis de celui qui est considéré au niveau national et international comme une référence en matière de tomate d'industrie, Cosme Alberto Argerich, agronome et coordinateur du projet spécifique pour le développement de technologies pour augmenter la compétitivité de la tomate à l'INTA, « le bon goût des tomates est en général corrélé inversement avec la fermeté des fruits. La récolte mécanique impose d'avoir une bonne fermeté des fruits pour résister aux processus mécaniques de la récolte unique. La tomate d’industrie ressemble beaucoup plus au soja qu’à la tomate fraîche puisqu'elle est plantée, cultivée et récoltée mécaniquement, et ce en un seul passage. »
Par ailleurs, selon les termes de l’expert, « dans le cas d’une tomate fraîche, où l’on peut vraiment apprécier la saveur, le fait que la durée de conservation ne puisse s’accompagner d’une saveur satisfaisante constitue un problème à l’échelle mondiale. Les tomates qui rapportent le plus au producteur et à la chaîne de commercialisation sont les moins savoureuses. »
En revanche, « la tomate d’industrie subit, pour être conservée dans le temps, une méthode de préservation par la chaleur et la température dont l’objet est de supprimer les processus enzymatiques et biologiques naturels et éviter sa détérioration dans un emballage en métal, en plastique ou en aluminium qui la protège ».
Cosme Argerich fait cependant remarquer qu'« avec d'autres scientifiques de l'INTA, ils ont observé des cultivars à haute teneur en sucres et en acidité, beaucoup plus “goûteux” que ceux qui ne contiennent pas ces composants associés. Ces tomates en forme de poire, particulièrement agréables à déguster en salade, perdent malheureusement une certaine partie de leurs caractéristiques intéressantes au cours du processus de chauffage qu'elles subissent lors de la transformation industrielle. »
Et d’ajouter : « Il nous est arrivé de travailler avec une entreprise de transformation sur ces tomates piriformes, très riches en sucres et en acidité et de bien meilleure saveur, et les consommateurs n’ont absolument pas remarqué la différence de goût, […] les consommateurs argentins achètent en fonction du prix, et non en fonction de la qualité de la saveur, surtout s'il s'agit d'un produit industriel. Le marché ne paie malheureusement pas la tomate de la meilleure qualité à sa juste valeur. »
Fernando Carrari a pour objectif de récupérer le matériel génétique cultivé en Argentine au début et au milieu du siècle dernier. L’équipe argentine s’efforce d’augmenter la quantité de semences de chacune des 120 variétés différentes qu'ils ont reçues de deux banques étrangères de matériel génétique (aux USA et en Allemagne), multipliées dans les parcelles expérimentales de l’Université. Le projet est soutenu par la Chaire d’horticulture pour la gestion de la culture d’environ 164 collections (accessions) qui sont en cours d’évaluation.
Quelques données complémentaires
*La Docteure Mathilde Causse est également partie prenante dans le projet Harnesstom présenté dans notre article « Harnesstom Project: to improve the quality of tomatoes ».
**Au moment de publier ces commentaires, en 2012, John (Jay) W. Scott était professeur d’horticulture à l’université de Floride. Il était déjà spécialisé dans l’obtention des semences de tomates ainsi que dans plusieurs domaines de recherche génétique : les résistances contre les maladies et les insectes, les tolérances aux dysfonctionnements génétiques, les tolérances à la chaleur pendant la nouaison, les effets environnementaux et génétiques sur la saveur et la couleur des fruits, et la mise au point d’un germoplasme à haute teneur en lycopène. Son programme d’obtention de semences de tomates, particulièrement productif, a conduit au lancement de 35 variétés et lignes d’obtention de semences. Sa présentation été parrainée par la société The Morning Star Company. Aujourd’hui, il est Professeur émérite à l’université de Floride pour l’Institut des sciences alimentaires et agricoles.
Université de Floride
https://edis.ifas.ufl.edu/topic_a42320990
https://doi.org/10.1094/GROW-TOM-10-12-012
Sources: reussir.fr, planthealthexchange.org, Ansa, freshplaza.it, hortidaily.com, lacapitalmdp.com