L’économie iranienne est affaiblie par les mesures commerciales US
Le concentré de tomate n'est pas forcément l'indicateur économique le plus évident ; pourtant, le fait que cet aliment de base usuel fasse l’objet d’ « achat-panique » de la part d’une partie de la population iraniennes en dit long sur l'impact des nouvelles sanctions américaines.
Alors que l’Iran dispose d’une capacité de transformation industrielle qui a absorbé jusqu’à 2,4 millions de tonnes métriques de tomate fraîches ces dernières années et produit des quantités conséquentes de concentrés à partir de matières premières récoltées sur le territoire national, il semble que les sanctions imposées par l’administration américaine ont bouleversé l’offre.
En effet, Washington a réintroduit des mesures contre les échanges financiers avec l’Iran, et contre plusieurs secteurs dont les métaux et l’automobile, qui avaient été levées en échange de l’engagement du gouvernement iranien à limiter son programme nucléaire.
L’effondrement de la monnaie iranienne en 2018 – une baisse de 70% ! – a provoqué une ruée sur les devises étrangères, qui a eu pour conséquence de rendre les exportations de dérivés transformés beaucoup plus rémunératrices et rentables que la vente sur le marché domestique. Et les restrictions US sur les exportations iraniennes de pétrole censées entrer en vigueur en novembre font craindre une crise économique beaucoup plus grave que celle qui avait frappé le pays entre 2012 et 2015.
Certains magasins se sont vus contraints de limiter les achats de concentré de tomate, utilisé dans de nombreux plats traditionnels persans, mais certaines catégories de produits sont arrivées à épuisement des stocks depuis plusieurs semaines. D’après le site d'achat en ligne iranien Digikala, les neuf principales catégories (type, qualité, conditionnement, etc.) de concentré de tomates étaient en rupture de stock début octobre et l’épuisement sur les autres types de dérivés de tomate était « à venir ». Dans un effort pour limiter l'instabilité économique et désamorcer la crise, le gouvernement a réagi en suspendant les exportations de tomate fraîche, s’attirant ainsi de nombreuses critiques, et promouvant de fait la contrebande, notamment vers l’Irak. Le prix des tomates fraîches a quintuplé depuis fin 2017.
De la même manière, les prix de nombreux produits importés ont littéralement flambé ces derniers mois, en particulier ceux des produits électroniques, mais aussi un certain nombre de produits locaux de base, comme la bouteille de lait (passée de 15 000 rials en 2017 à 36 000 rials cette année), ou la boîte de concentré de tomates de 800 grammes, qui se vendait environ 60 000 rials en mars dans les magasins de Téhéran et qui vaut aujourd’hui 180 000 rials (3,69 Euros ou 4,28 USD au taux officiel - mais seulement 1,24 USD au taux officieux). Pour les experts de l’économie iranienne, « le consensus qui semble émerger actuellement est que l’économie va passer par une période d’austérité semblable à celle que nous avons connue pendant la guerre Iran-Iraq ».
D’après Mir-Razavi, le président du Syndicat des Conserveurs, le prix des emballages a été multiplié par quatre, et les mesures prise par les autorités pour freiner la fuite de devises a considérablement ralenti les flux d’importations, notamment ceux qui permettaient aux usines de s’approvisionner en matériel. Parallèlement, les détaillants rechignent à mettre en application les réductions de prix imposées par le gouvernement, et spéculent sur une éventuelle remontée des prix.
Taux de change US Dollar / Rial iranien sur le marché non officiel
Pour sa part, le Fonds Monétaire International a récemment commenté la situation en estimant que l'économie iranienne se contracterait de 1,5% cette année et de 3,6% en 2019, avant de se redresser lentement. Dans cette analyse, la récession serait moins profonde qu’en 2012 (-7%), et ferait moins de dommage que le conflit avec l’Irak, qui avait provoqué une contraction de 25% environ.
Toujours dans cette hypothèse et sous certaines conditions, les économistes iraniens estiment que si les nations européennes parviennent à mettre en place un système spécial de paiements qui permette de maintenir les échanges commerciaux avec l’Iran, l’économie pourrait commencer à se redresser progressivement dans le courant de l’année prochaine. Beaucoup de choses dépendront des sanctions US, qui pourraient gagner en sévérité, dont l’objectif et de pénaliser les exportations iraniennes de pétrole et d’autre denrées stratégiques.
En attendant, dans les supermarchés de Najaf, en Irak, les approvisionnements de concentrés iraniens de tomate sont réguliers et fournis. Les exportations iraniennes de concentrés semblent n’avoir été pour l’instant que peu affectées par la crise politique, avec des volumes qui se sont élevés à plus de 130 000 tonnes métriques durant l’exercice commercial 2017/2018 : ce résultat est inférieur de 12% à celui de l’exercice précédent (148 300 mT) mais, porté par le gain de compétitivité lié à l’affaiblissement du rial iranien, pratiquement identique à la moyenne des trois exercices précédents. Compte tenu des résultats de transformation des dernières années, il est probable que l’activité extérieure iranienne sur ce secteur sera plus impactée par l’effondrement des quantités transformées en 2018 que par les sanctions commerciales US.
La vocation régionale des exportations iraniennes ne se dément pas : l’an dernier, comme sur les neuf exercices précédents, l’Irak et l’Afghanistan ont drainé la quasi-totalité des ventes extérieures iraniennes de concentrés ; les exportations vers l’Irak ont représenté 65% (79 900 mT) de l’activité totale, en baisse de près de 10% par rapport à 2016/2017, mais en hausse de près de 3% par rapport aux trois exercices précédents. L’Afghanistan a importé près de 43 000 mT de concentrés iraniens, soit 6% de plus qu’en 2016/2017 et près d’un tiers de plus que sur les trois exercices de la période 2014 – 2017.
Dans une proportion bien moindre, d’autres pays (Russie, Turkménistan, Kazakhstan, Pakistan, Emirats, Koweït, etc.) figurent également parmi les principaux marchés acheteurs de concentrés iraniens.
Les exportations (et importations) iraniennes de conserves et de sauces sont pratiquement négligeables. Au bilan, la balance commerciale iranienne des concentrés se confond avec la balance commerciale totale, dont le résultat pour l’exercice 2017/2018 s’est élevé à 185 millions USD, en baisse de 10% par rapport à 2016/2017 et de 7% par rapport aux trois exercices précédents.
Octobre 2018 : mise en linéaire de boîtes de concentrés de tomate iraniennes dans un supermarché de Najaf, en Irak.
Quelques données complémentaires
Evolution des quantités transformées en Iran depuis 2003.
Evolution de la balance commerciale iranienne sur les dix dernières années.
Source : reuters.com, IHS, TomatoNews
